Marie-Agnès Dupain

Journaliste, photographe.

Bordeaux, Arcachon, Poudenas, Jouer à Tram-Tram.

«L’IMAGE EFFACÉE DE POUDENAS»


Iluna tenait à la main une photographie vieille de 40 ans en ressentant un petit chagrin. Sa mémoire faisait son chemin comme elle le pouvait à travers les chausse-trapes du passé. La trame de ce cliché, c’était le monticule de Poudenas et les enfants qui étaient ce jour là chez tante Amélie. Napoléon Bonaparte aurait fait aménager cette hauteur pour établir un bivouac ; il devait plutôt s’agir d’un tumulus, mais elle n’y pensa qu’à l’instant, imprégnée jusqu’alors par cette légende familiale. D’ailleurs elle n’avait jamais vu les papiers attestant ce passage impérial.
Son frère Iban et ses deux cousines étaient identifiables sur le cliché qui avait mal vieilli, devenu incertain, mais qui étaient les autres ? Peut-être y avait-il le jeune voisin, enfant de l’assistance publique jouant souvent avec Iluna et Iban. Dans les fossés près de Poudenas, les garçons “tombaient à la guerre” et se faisaient secourir par la fille, “l’infirmière”.

 

LA NOTE CONTINUE DE L’HARMONIUM

Tante Amélie, sur la photo, mettait la main sur l’ épaule de la petite fille. Les deux se sentaient des affinités pour diverses raisons dont ni l’une ni l’autre n’avait jamais précisé la substance. Royaliste caustique et modeste, esthète à sa manière, Amélie était restée toute sa vie dans son village, cousant des “toilettes” et alimentant l’église du village d’atours magnifiques. Elle y jouait également de l’harmonium, actionnant le pédalier avec son air sérieux, les yeux cerclés de grosses lunettes façon écaille, fixés tantôt sur la partition tantôt sur la marche de l’office. Tante Amélie avait aussi chez elle un imposant et très bel harmonium qui accompagnait les visites et les innombrables chansons de ses soeurs et de ses neveux ; Iluna ignorait l’origine de l’arrivée de cet instrument. Combien d’autres questions n’avait-elle pas pensé à poser; elle se sentait aujourd’hui d’une incurable nostalgie. Avec la grande-tante, elle avait appris quelques mots en basque, langue que sa famille ne pratiquait plus depuis la dernière guerre. Amélie savait-elle comment Iluna se regardait dans le vieux miroir à trumeau de la chambre, s’imaginant revenue cent ans en arrière, tandis que le vent courait les collines d'alentour, vers Mendiburu ?

Iluna et Iban avaient passé l’été chez tante Amélie ; Marie, une de ses sept soeurs les avait rejoints et toutes deux avaient l’esprit acéré et moqueur, trait de caractère que l’on rencontre chez quelques basques pince-sans-rire. Se souvenant de cette insouciance proche du bonheur, Iluna continuait également à se nourrir affectivement en imaginant le fourneau où fumait le chocolat chaud et épais ainsi que les œufs avec de la ventrèche , accompagnés des talouas, galettes bonnes à se damner. La silhouette noire et sèche de tante Amélie est encore penchée sur le petit potager, cueillant la salade du dîner, au soir tombant sur ce pays de mystère. La vieille grille et les arbustes de Poudenas gardent cet espace affectif, presque mystique ; il finira avec Iluna.

 

Marie-Agnès Dupain

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