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Marie-Agnès DupainJournaliste, photographe. |
Le curieux du cours Alsace et Lorraine |
Dimanche 21 décembre 2003, Bordeaux attirait irrésistiblement le gogo, le curieux ou le calculateur (celui qui veut voir l’intérêt de la chose d’un point de vue pratique ou financier). C’était jour d’inauguration et le tramway était mis en vedette après des années de problèmes divers et variés. Peut-être pourrais-je parler de la sacrée bataille menée par les écologistes girondins pour refuser le métro qui avait été envisagé dans un sol si « aquitain », des querelles de tout bord sur la façon de faire et de dépenser après le choix du tramway et des reproches par ci, par là, souvent recevables ; je devrais aussi évoquer les prouesses techniques et les innovations du côté de l’alimentation électrique par le sous-sol évitant les fils aériens… |
Mais je préfère toujours privilégier,
en vitrine, mon imaginaire ; j’avais laissé dans une partie
de ma mémoire cette voiture tramway que Bordeaux avait abandonnée
en 1958 ; vraiment très petite, j’ai cependant emmagasiné
cette silhouette désuète, roulant sur les pavés des
quais de cette époque. Ce souvenir se rattache à la promenade
familiale faite pour admirer un des derniers morutiers ayant fait campagne
et accostant à Bordeaux, à proximité des usines béglaises
qui préparaient les poissons. La voiture ressortie de son hangar
de mémoire était ce jour de décembre 2003, présentée
sous un abri ; Bordeaux avait pris par ailleurs un petit air de pluie,
« pas trop mais quand même ». À Mérignac
ou à Caudéran par exemple, les arrêts de bus n’avaient
jamais connu autant d’affluence ; sortis de leurs échoppes,
de leurs petits immeubles ou de leurs villas des années 1960, les
gens se rendaient à Bordeaux pour participer à cet événement.
Quelques irréductibles de l’automobile s’engouffraient
avec leurs quatre roues vers le centre ville, traités de fainéants
par la population indignée. UN TRAMWAY POUR BEAUCOUP D’OPINIONS Dès la place Pey-Berland, abandonnée à son architecture et à ses perspectives grâce à un immense parvis, les arrêts du tramway étaient pris d’assaut pour remonter jusqu’au Pont de pierre ou pour redescendre vers Mériadeck. Le premier tramway aperçu faisait plutôt bonne impression et l’air des conducteurs comme des milliers de gens qui le regardaient le rendait plus populaire qu’il ne le sera jamais peut-être, ce à quoi il faut rendre un furtif hommage. Les abords du vieux pont, enjambant une Garonne plutôt sage, reflétaient les humeurs des badauds ; ceux qui se plaignaient de l’attente ou des problèmes techniques ; ceux qui voulaient apercevoir les officiels et les autres qui voulaient voir l’embrasement du pont, pour mieux rouspéter après…
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Le jeune tram sur le vieux pont |
Des voix de la rue à la Porte de Bourgogne |
Quelques barrières métalliques barraient la porte de Bourgogne où s’exprimaient les voix des exclus de notre dure société et leurs porte-parole ; des vérités sur la précarité et une drôle de justice s’affichaient sur calicots. Des militants d’une autre forme de tram, qui ne serait « pas pour les poissons », ainsi que l’exprimait une banderole elliptique, proposaient du vin chaud et des gâteaux. Les tracts d’un collectif en colère contre la misère programmée circulaient, pris par quelques mains furtives comme celles d’un vieux travailleur d’Afrique du Nord solitaire ou d’un passant distrait ; un chiffre signalait que la fête du jour coûtait 650 000 €. Pour le retour, il fallait cependant absolument entrer dans ce tramway constamment bondé. Après quelques mots échangés avec une jeune famille du Haillan et avec une plus vieille de Bordelais très informés de l’histoire du tramway, l’heure était venue de forcer la chance et de se frayer un passage ; la victoire (avec les portes de la voiture qui s’est enfin arrêtée) était à notre portée. Le virage pris par le tramway pour quitter les quais et aborder le cours Alsace et Lorraine valait tous les sacrifices : le frisson quand les roues frottaient les rails et secouaient légèrement la voiture était la cerise sur le gâteau de cette visite bordelaise pour jouer à « Tram-Tram ». Tous ceux, arrivés de Cenon et de Lormont, qui nous tenaient compagnie affichaient le visage des jours un peu différents ; le tramway absolument libre d’accès, à condition d’y faire sa place, avait ce jour-là le vent en poupe et donnait à l’agglomération une occasion momentanée de se serrer les coudes… |
Jeux de lumière pour le tramway
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