Marie-Agnès Dupain

Journaliste, photographe.

Bordeaux, Arcachon, Poudenas, Jouer à Tram-Tram.

À quoi pense une bordelaise ?

Pont tournant séparant deux quartiers emblématiques du passé portuaire de Bordeaux : Bacalan et Les Chartrons.


Bordeaux déborde : des atouts que lui apportent sa situation géographique, connus il y a longtemps au " négoce " de l’art de vivre et, symboliquement, d’une abondance d’eau et de vin. Ajoutons que son passé orgueilleux qui irrite ceux qui ne sont pas de cette ville, sa subtile esthétique aujourd’hui révélée grâce à des idées simples mais coûteuses, se marient avec une vitalité populaire ancienne et méconnue. Haro sur les poncifs et aussi tant mieux ! La Fronde en 1649 soulève la ville et sa région, un billet populaire qualifie le gouverneur de Guyenne qui mène la répression : " Prince de résine et de poix, Monarque des raies et des soles, Roi des cartes, Sire bouffon. Empereur de moules et d’huîtres, Souverain d’un sable mouvant. Je veux ajouter à tes titres : Une altesse d’eau et de vent. " Les habitants les plus emblématiques de ce pays d’Aquitaine (de Gascogne plutôt, qui abrita toujours des peuples – la novempopulanie - formés d’individualistes) sont des pâtes d’hommes : l’introspectif Michel de Montaigne ou Montesquieu en son délicieux château trapu de La Brède, Mauriac, pétri dans le paradoxe. Vivaient aussi dans ce pays, quand j’y demeurais en participant (de trop loin à mon goût) à leurs combats, des écologistes qui sont à l’origine du sauvetage de la côte aquitaine, programmée pour être une immense marina : la famille Charbonneau, Pierre Davant ou Jean Bost, empreint d’un savoir irremplaçable sur le Pays basque, merveille naturelle si près et si loin de Bordeaux. Petite fille, née basque et bordelaise, depuis la Panhard de mon père, j’ai pu apercevoir les derniers moutonniers des Landes, entre Bordeaux et Bayonne, ils tricotaient encore ; le regard se perdant dans les pins, la route était courte pour moi entre Caudéran et chez ma grand-mère Diribarne. Un dernier regard vers des gens très appréciés en parlant de José Bové, Girondin, dont le militantisme actuel s’est sans doute construit d’avoir côtoyé des hommes possesseurs de cet humanisme éclairé doublé d’un esprit d’indépendance à toute épreuve. J’écris cela sans esprit " clocheton " ; beaucoup de bordelais sont partis sans se retourner mais porteurs de quelque empreinte de la ville.

Le château de Montesquieu, lieu de promenade des Bordelais.


BORDEAUX SUR MON AGENDA DU PASSÉ


Les jours passés dans ma ville natale sont à présent signalés par BX. " B " comme le quartier de Bacalan, situé en bord de Garonne, aujourd’hui immobilisé dans son passé industriel et portuaire sous le gigantesque pont d’Aquitaine. " X " comme l’initiale du prénom de mon frère, installé avec sa famille à Pessac. A deux pas de chez eux, dans une impasse provinciale près de la rue Jean Eustache, se trouve la maison familiale du cinéaste de " La rosière de Pessac " (jeune fille méritante toujours élue chaque année dans la commune) et de " La maman et la putain ". Sur ce plateau de Noès, se regroupent des maisons faites longtemps de bric et de broc. Elles abritaient l’été, les familles de Bordelais modestes venus cultiver leurs jardins. Les habitants, à 10 kms du centre ville, ouvrent leurs fenêtres sur des vignes et voisinent avec un prestigieux cru Pessac-Léognan. Il m’a fallu du temps pour parcourir à nouveau les lieux de mon enfance et mon adolescence, les rues où j’ai marché jusqu’à la fin d’études cahotantes dans des écoles du centre ville de Bordeaux. J’ai ainsi préparé le baccalauréat dans une école privée dont les fenêtres donnaient sur le très bel entrepôt Laîné qui accueillait les épices au temps du triangle d’or, enrichissant les négociants de la ville ; le visiteur a senti longtemps en pénétrant dans l’immense édifice une odeur vanillée. A l’écoute d’un professeur de philo, à qui je dois d’avoir eu mon bac, je dessinais l’architecture de l’entrepôt. L’IUT de Gradignan m’attendait bientôt avec un rapide retour après les cours, vers la place de la Victoire pour des soirées que je trouvais dignes d’Ernest Hemingway avec Geneviève, l’amie dacquoise à l’œil noir et mes copains landais et basques... Aujourd’hui, après bien des drames, l’air baignant ma ville natale est léger pour moi. Sa beauté se révèle au passant ; Bordeaux est semblable à une femme qui a vécu longtemps triste et sombre et a trouvé les moyens de faire éclater sa splendeur. La grande flèche de Saint-Michel paraît la nuit sertie de diamants. La soirée ne se finit jamais mieux à Bordeaux que dans ce quartier près de l’eau qui garde le pouvoir de suggérer des départs mais où arrivèrent en masse les réfugiés de la guerre d’Espagne. Il sera l’heure de rejoindre peut-être, quelque échoppe au jardinet empli de roses et de fermer ses volets sur la ville assoupie.

 
Zone portuaire post-industrielle revisitée par la restauration " branchée ".
Marie-Agnès Dupain

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