Jean-Benoit Thirion |
La Loi de PoissonRomanFeuilleton cyberpunk à usage résolument intégré au réseau des utilisateurs francophones |
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Chapitre 8 |
Ma maison me reconnaît. Elle saute sur place. Elle bat des ailes. Elle me lèche les mains. Elle est bien la seule de la rue à se préoccuper de celui qui revient sur le lieu de son crime, de son crime de divorce. La serrure ne moppose aucune résistance, brave serrure, et je retrouve lunivers figé de mon passé. Ce nest pas ma première incursion dans ce qui nest plus désormais mon " chez nous ". La nostalgie me pousse parfois à revenir quand jai du temps à perdre et que la voie est libre. Je ne tiens pas à la rencontre qui est pourtant au cur de mes fantasmes. Mon ex ne comprendrait pas mon acharnement à vouloir jouer les nécrophiles avec notre amour mort.
Mais il nest pas mort pour moi. Elle doit pouvoir lentendre. Je viens avec mon khi-deux pour ça. Au fond delle, je veux croire à un feu en veille qui ne demande quà être alimenté pour sembraser. Un rêve. Mon rêve. Une idiotie, oui.
Je nai pas cours ce matin. Jai le temps de réaliser mon plan. Comme dhabitude, mon ex a quitté la maison à sept heures et des poussières pour arriver à moins dix au bureau. Elle est obligée de partir tôt pour éviter les bouchons. Cest toujours ainsi depuis quelle bosse dans les emballages. La cafetière, le bol sale, le paquet de biscottes, le pot de crème de marrons, la peau dune orange sur la table de cuisine, vestiges dun petit-déjeuner solitaire. Un seul bol, une seule petite cuillère. Oui, elle a dormi seule. Une autre conclusion ménerverait. Lidée de marcher sur les traces fraîches de mon remplaçant me répugne. Un peu comme si mon cur marchait pied nu et se posait sur une merde de chien.
Je me fais chauffer un café au micro-ondes.
Sur le calendrier de sa société demballages, au-dessus du micro-ondes, à la date daujourdhui, est écrit au crayon à papier: dentiste, 14h30. Un rendez-vous. Elle a donc mal aux dents. Jai mal choisi mon jour. Notre conversation téléphonique de ce soir risque de tourner court. Je ne sais pas si le khi-deux a des vertus antalgiques. Je nai jamais eu lidée de le tester sur moi afin de vérifier sil calmait la douleur.
Allez, tiens, jessaie sur le champ.
Je me mords lintérieur de la joue, khi-deux activé retourné contre moi. Effectivement, jai limpression de ne pas sentir la morsure que je viens de minfliger. Mon test est-il fiable ? Je ne sais pas. Il est possible que par instinct de conservation je ne me sois pas mordu très fort. Se faire mal volontairement nest pas simple. Seuls les mystiques et les fous arrivent vraiment à sauto-mutiler pour y trouver une certaine satisfaction.
Jessaie une nouvelle fois. Je veux avaler une gorgée de café brûlant, me brûler la bouche, me brûler la langue. Or, je retiens mon geste. Influence bénéfique du khi-deux. Je maime trop à cet instant via le khi-deux pour me faire du mal. Je sais le café brûlant et je ne veux pas me brûler. Seule une méchante douleur qui dure pourrait me permettre de tirer une conclusion valable. Il faut déjà souffrir avant lintervention du khi-deux, cest ce que jen conclue. Une rage de dents serait idéale.
Je vois bien que je nai pas pu me mordre pour de bon non plus. Khi-deux plus instinct de conservation égalent la tête réjouie à Toto. Equation incontournable.
Je remets à plus tard lexpérience. Autre chose me tarabuste malgré moi. Je ne voudrais pas céder à ce qui fait de moi un homme normalement constitué, et pourtant je me laisse mener par mes libidineuses impulsions jusquà la chambre dabord, puis jusquà la salle de bains. Je suis en quête de mon ex, et de son intimité surtout. Dans un tiroir de la commode, puis dans le panier de linge sale, je trouve ce que je cherche : les dessous quappelle en grognant à lintérieur de moi mon cerveau reptilien. Toucher la soie, caresser les dentelles, humer une odeur de propre ou un remugle délicat abandonné par le corps désirable me fait perdre la tête. Faiblesse humaine. On est tous pareils, nous les hommes à cerveau reptilien. Jen discutais lautre jour avec un collègue. Il se plaignait de ses étudiants. Les garçons. De vrais branleurs, disait-il. Discipline informatique oblige, ils travaillent sur ordinateur et cest à celui qui affichera sur son écran la photo de cul la plus osée. On les pioche sur internet.
- Tous des obsédés de la quéquette, ces petits branleurs de mes deux ! râlait-il. Comment veux-tu quils aient la tête au travail ?
Jai abondé dans son sens, sans lui préciser quil marrivait aussi de consulter des sites érotiques sur lordinateur de la salle des profs, quand jétais seul. Je ne tenais pas à ce quon regarde par-dessus mon épaule. Je ne devais pas être le seul à errer dans le bordel virtuel aux frais de ladministration. Par exemple, mon interlocuteur ne devait pas être le dernier à pratiquer ce genre de sport.
- Toi, au moins en maths tu nas pas ce genre de problèmes. Il y na pas encore de pépées à poil sur lécran des calculettes graphiques.
- Pas de risques de ce côté-là. Jinterdis lusage des calculettes en cours. Sauf pour les contrôles. Ils savent à peine calculer de tête.
- On ne plaisante pas chez toi. Je devrais faire comme toi, leur supprimer les ordinateurs, mais comment faire de linformatique sans ordinateur ?
Je lai écouté tout en me disant : toi, mon bonhomme, tes pareil que les élèves que tu vilipendes, voire pire. Un coup de khi-deux sur sa figure de Tartuffe me la confirmé. Il est devenu mielleux et sest répandu en confidences. Rien de tel que la gentillesse malgré soi comme sérum de vérité.
- Si je te disais que je passe mes nuits sur les sites porno pendant que ma femme dort. Elle croit que je programme. Tu vas tesquinter les yeux, elle me dit quand elle me retrouve le matin avec des yeux de mort-vivant. Je te donnerais des adresses. Il y en a des gratuites et qui renouvellent leur collection chaque semaine. Les sites hollandais sont champions pour ça. Je te recommande pas les japonais, cest sado et compagnie, et faut la carte de crédit. Je comprends que nos garçons soient travaillés par le sexe. Il y a de ces minettes en cours. Il y en certaines que je me taperais bien. Tu as la B3, seconde année, toi aussi, non ? Tu as vu la Degnangnancourt-machin qui se met toujours au premier rang en minijupe ras le bonbon ? Je me demande comment elle fait pour être lune des meilleures de la promo. Jaurais un cul comme elle, je resterais au pieu en bonne compagnie et je foutrais rien, vraiment rien. Je parie quelle te fait du gringue à toi aussi. Bon, en tout cas, si tu veux voir de belles choses, tas quà passer un soir à la maison. On surfera comme des petits jeunes. Je déboucherai pour loccasion un romanée conti, tu men diras des nouvelles. Je ne connais rien de mieux que de bander en dégustant un grand cru.
Pauvre type.
Dire quil faut entretenir aussi la libido de ce monsieur pour le bien commun : la reproduction de lespèce. Sinon, sans idée derrière la tête, les mâles baisseraient les bras, et là, catastrophe, plus de désir, plus damour, plus rien, plus dhommes pour aimer les femmes, plus que des vieux, plus que lennui, plus que la mort, puis plus personne, le désert sur notre planète. Il nous faut de la pornographie et des grosses blagues de cul, même si on napprécie guère, car sinon, on soublierait dans la quatrième dimension, dans le cérébral, on oublierait quon a les pieds sur terre et le sexe sur terre. Les gros cons qui racontent leurs histoires salaces au coin dune table ou dans les émissions de grande écoute à la télé sont des sauveurs de lhumanité. Plus ils senfoncent dans la vulgarité, plus ils rappellent à lordre notre virilité.
Quand la libido commande, il ny a plus quà suivre. Ma libido mordonne de me déshabiller. Jai envie dêtre nu là où mon ex sest trouvée nue. Quest-ce que je risque de me promener à poil dans la maison ? On ne risque pas de me voir de lextérieur. Les volets sont fermés par précaution, sauf ceux de devant qui ont des barreaux, mais ils ont des rideaux. Chez soi, on fait ce quon veut. Si on ne se met pas à laise chez soi, où pourrait-on sy mettre ? Certes, je nhabite plus ici. Mais bon, je suis encore un peu chez moi ici. Les murs me connaissent. Jai vieilli avec les meubles.
Je tombe mes vêtements dans la salle de bains. La fraîcheur me gagne ; ça fait partie du jeu. Si je chope un rhume, je saurai doù ça vient. Le thermostat du chauffage doit être réglé sur un 18 constant. Il en était ainsi de mon temps. A partir de 18 heures, il monte à 20 pour le reste de la soirée.
Après les culottes, je respire les parfums des sept flacons alignés sur létagère. Un par jour. Mon ex na pas changé ses habitudes. Chaque eau de toilette a ses tricots, ses chemisiers associés. Pas de mélange de fragrance. Les mélanges, cest mauvais. Je choisis celui qui me plaît le plus. Je le nomme parfum du jour et je men colle un soupçon derrière les oreilles.
La seule chose qui casse lharmonie dans cette salle de bains, cest la bombe de mousse à raser et laprès-rasage de supermarché, et un quatuor de brosses à dents dans le verre à dents des invités. Les trois petites, la rouge, la verte et la bleue, je présume quelles appartiennent aux enfants de mon remplaçant. Il mest insupportable dimaginer toute cette famille détrangers vautrés contre les flancs de mon ex. On na pas eu denfant. Elle ma toujours affirmé que ce nétait pas un problème. On verra plus tard, elle disait. Plus tard est venu et on na rien vu.
Je reviens dans le séjour. Fauteuil, téléphone, place stratégique du khi-deux. Le plan élaboré hier soir se superpose sans bavure sur le réel. Aucune raison de ne pas y arriver. Je laisse le khi-deux sur le guéridon. Jai le temps de monter mon installation. Et maintenant, direction la chambre. Le lit encore défait mattire. La couette traîne en partie au pied du lit. Je ricane intérieurement à la vue du tapis de gym déroulé qui doit servir aux exercices de yoga. Faites le vide en vous, pas la guerre ! Est-ce quils sinstallent à deux là-dessus, en position de fleur de lotus ?
Au tapis de mousse, je préfère un bon lit, un bon sommier, une bonne couette.
Pourquoi hésiter ? Elle nen saura rien. Du moment que je ne fais pas de saletés.
Alors oui, je me mets dans son lit, à sa place, la tête sur son oreiller. Je me couvre de la couette. Evidemment, je bande, mais je ne suis plus de la prime jeunesse au point de ne pas savoir me retenir. Que dirait-elle en trouvant une tache blanche sur son drap ? Que cest le paraphe de lautre, datant de ce week-end. Ah, mais, pourtant elle a changé les draps lundi. Mystère et carte de géo miniature. Trou de mémoire ou Elsheimer précoce ? Il lui semble bien que lautre nest revenu ni lundi, ni mardi, ni mercredi soir.
Je ferme les yeux, le visage enfoui sous la couette. Elle est à mes côtés. Ou plutôt elle est à ma place et cest moi qui suis à ses côtés. Elle dort toujours à droite. Nos jambes se frôlent. Il me faut une volonté de béton pour empêcher ma main daller à la découverte de son corps. Dabord, elle voudrait se poser sagement sur le bras, puis glisser toujours sagement vers le sein. Geste sans autre intention que de se reposer un instant après un très long voyage sidéral. Le sein comprendrait et se ferait douceur et chaleur.
Le sein : prenez votre temps, reposez-vous, mais chut, ne réveillez pas le corps endormi.
La main : merci beaucoup, je vous promets de rester discrète, je ne suis pas le genre à profiter de la situation, mais puis-je vous demander la permission de maccrocher à votre téton ? Je suis très fatiguée de mon voyage sidéral et jai peur de glisser.
Le sein : faites, faites, je suis là pour ça, accrochez-vous, et ne vous inquiétez pas si le téton durcit, cest naturel.
La main : oh oui, il durcit drôlement. Vous navez pas peur que ça réveille le corps ? Jai limpression de gêner et je ne voudrais pas mimposer. Faites-moi signe si je dois men aller.
Le sein : ce serait vous mentir de vous dire que le corps est encore endormi. Il se réveille en haut et il se réveille en bas. Entendez la tête qui soupire et voyez les jambes qui sétirent.
La main : cest ma faute. Je men vais alors.
Le sein : non, restez. On apprécie de temps en temps la visite des voyageurs sidéraux comme vous, surtout le matin tôt, et le samedi et le dimanche de préférence.
Lautre sein : et les jours fériés.
Le cou : moi jaime bien le soir aussi.
Le nombril : à moi maintenant, venez me voir, je suis réveillé.
Les cuisses, les fesses, la vulve : oui, oui, venez nous voir ! On veut savoir ce que cest un voyageur sidéral.
Le sein : je crois que tout le monde est réveillé à présent.
La main : je suis vraiment désolée, je nai pas fait exprès. A votre avis, à qui devrais-je rendre hommage maintenant ? Je ne voudrais pas faire dimpair. Dois-je monter ou dois-je descendre ?
Le nombril : descendez !
Les cuisses, les fesses, la vulve : descendez, vite, descendez ! On simpatiente.
Lautre sein : et moi ?
Le cou : ça mest égal.
Le sein : à la majorité, me semble-t-il, on vous demande en bas.
Ma rêvasserie sinterrompt brutalement sous un afflux dadrénaline. Linquiétude me fige au fond du lit. Je ne rêve pas. Des bruits remplissent la maison. Jai vaguement entendu une porte souvrir et se fermer pendant le dialogue du sein et de la main. Et là, jentends des pas. Quelquun circule dans la maison. Et moi je suis à poil dans le lit de mon ex. Mes vêtements ? Ils sont dans la salle de bains. Je pense à un voleur qui se serait introduit derrière moi. Je me vois pourtant refermer le verrou de lentrée. Mon ex aurait-elle engagé une femme de ménage ? Cest ça, celle-ci a les clés et vient justement aujourdhui passer laspirateur et faire le repassage.
Jécoute.
Jessaie de ne pas paniquer. Jessaie de faire mon yogi à labri dans mon igloo contemplatif. Je devrais faire la fleur de lotus sur le tapis réservé à cet effet.
- Mais quest-ce vous faites-là ?
- Mon yoga, voyons. Veuillez sil vous plaît ne pas me déranger.
A force découter, il me semble, à présent, que lautre fait du surplace quelque part dans un endroit précis de la maison. La cuisine peut-être. Jentends claquer des portes de placard, un robinet quon ouvre, une chaise quon tire sur le sol.
Jenvisage de me replier discrètement vers la salle de bains. Quitte à être surpris, autant lêtre dans une tenue correcte.
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