La percée de Quasdanovitch

Philippe PATERNOLLI

Chapitre 1


 

Bonne année ! Kévin en avait mal aux tripes, d’entendre le réveillon du nouvel an dégouliner depuis le centre d’Albi, jusqu’à souiller son quartier.
Bonne année ! Kévin était seul dans la nuit, au fond du puits que constituaient les quatre tours de sa cité. Quatre tours paraissant plus hautes que la cathédrale dont la brique s’empourprait à moins de deux kilomètres.
Bonne année ! Kévin faisait ses comptes. 98, 99, 2000, 2001, 2002 : cinq ans de chômage. Des klaxons détonèrent en direction de la ville. Des rires et des cris s’échappèrent des tours. Croyaient-ils vraiment que l’année serait bonne ? Après avoir fait ses comptes, Kévin décida de les régler. Ils voulaient faire la fête ? Kévin allait leur mitonner un vrai feu d’artifice. Il savait où trouver le matériel.
Un recoin du sous-sol de la tour C. Un garage dont Kévin souleva la porte métallique sans effort. Aucune serrure ne verrouillait quoique ce fût depuis longtemps. Depuis longtemps plus personne ne garait sa voiture dans son garage ou n’y entreposait quoique ce soit. Il bloqua la porte à l’aide d’un tasseau de pin d’une trentaine de centimètres trouvé par terre. Il alluma son briquet, protégea la flamme de son autre main. Ils étaient là : quatre étages d’extincteurs de quinze kilos piqués le mois dernier par la bande à Bachir. Kévin n’était pas de la bande mais l’info avait circulé : cent extincteurs s’étaient volatilisés d’un entrepôt de la région ; cent extincteurs avaient été bourrés de désherbant et de sucre, transformés en bombes ; cent extincteurs étaient cachés dans les sous-sols. Facile pour Kévin de les repérer. Observer, tendre l’oreille. La bande à Bachir comptait quelques bavards. Kévin connaissait depuis longtemps leurs planques. De l’autre côté du box, Kévin dénicha le complément idéal à son projet : une palette de bouteilles de white-spirit.
Kévin referma le garage et fit le tour de ses potes. Tous s’emmerdaient, devant la télé ou encore à table, en famille. Ou seuls. Certains s’étaient réunis et étaient encore plus seuls.
«Vous voulez qu’on fonde notre bande, rien qu’à nous ?» Tous acquiescèrent. Sans toutefois déborder d’enthousiasme.
- Il faut d’abord qu’on casse quelque chose pour être reconnus… objecta Sam.
- J’ai l’idée et le matos, répondit Kévin. J’ai juste besoin de main-d’œuvre.
Kévin exposa son plan. Les palabres s’estompèrent. Agir vite.
Ils réunirent trois véhicules brinquebalants devant la porte du garage. Chargement des extincteurs dans les coffres en dix minutes.
Kévin prit la tête du cortège de feu, au volant de la vieille Renault familiale dont le pot griffait le bitume. Direction : le parking »Bondidou» en plein centre-ville. Le parking épousait une déclivité naturelle et s’étageait en molles courbes et contre-courbes sur sept étages. En bas, c’était le tapin. Tant pis. Le parking était complet. Combien de bagnoles ? Cinq cents ? Plus ? Tous les bourges s’étaient garés là pour réveillonner dans les boites et restos chicos.
Dix extincteurs chacun, à déposer sous les plus belles bagnoles, les plus grosses, les mieux astiquées, à l’intérieur desquelles une petite lueur signalait la présence d’une alarme. Comptez sur votre alarme, mes cons !
Vite. Une fois les bombes en place, déverser le torrent de white-spirit. Au moins deux cents bouteilles.
Ils regagnèrent les voitures et s’immobilisèrent en surplomb du parking. Kévin alluma une torche et la balança vers l’essence volatile.
Pas le temps d’admirer le feu d’artifice. Pied au plancher, se séparer, quitter la ville par l’ouest, à l’opposé de la cité. Ne pas revenir avant le lendemain midi. Un seul par bagnole, les autres en train ou en car. Le mieux : aller se fondre dans Toulouse.
Kévin jubilait, tout en avalant les kilomètres. Il était devenu un chef de bande. Et de quelle manière ! Il ne se faisait pas d’illusions : parmi ceux qui étaient de la soirée, certains parleraient à des membres de la bande à Bachir ; à des membres d’autres bandes. Rien à redire : c’est ainsi que sa notoriété se ferait. Sans déborder du cadre de leur petit -tout petit- «milieu».
Le plus gros obstacle c’était Bachir. Le faire taire au plus tôt serait le mieux.
Être chef de bande, c’était décider, agir, se faire respecter. Kévin allait s’imposer. Il n’avait pas le choix.

 


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